“ Depuis plusieurs mois, le renforcement militaire de l’Ouganda en Ituri, sous couvert de lutte contre les groupes armés, alimente un débat sur les limites de la coopération régionale et les tensions géopolitiques qu’elle pourrait aggraver.
Depuis février 2025, la présence militaire ougandaise ne cesse de s’intensifier en Ituri. Des colonnes de l’armée ougandaise (UPDF), lourdement équipées, ont été aperçues dans les territoires de Djugu, Irumu et Mahagi. Officiellement, ce redéploiement vise à appuyer les Forces armées de la RDC (FARDC) dans la traque des rebelles ADF. Mais au fil des mois, une question revient avec insistance : s’agit-il encore d’une coopération sécuritaire ou d’une présence étrangère aux contours de plus en plus opaques ? Entre actions militaires unilatérales, zones minières sensibles et tensions intercommunautaires persistantes, le partenariat militaire entre Kampala et Kinshasa prend une tournure de plus en plus controversée, soulevant des inquiétudes quant à la souveraineté congolaise dans cette province frontalière meurtrie par des décennies de violence.
Officiellement, une lutte contre les ADF
Du côté ougandais, ce redéploiement s’inscrit dans la continuité de l’opération Shujaa, lancée en novembre 2021 pour neutraliser les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé d’origine ougandaise, accusé de nombreux massacres dans l’Est de la RDC et affilié à l’État islamique. Kampala évoque également un impératif de sécurité nationale face à la recrudescence d’attaques terroristes à sa frontière ouest.
Des opérations au-delà du mandat initial
Toutefois, des voix s’élèvent pour dénoncer un élargissement non déclaré du champ d’action de l’UPDF. En plus des ADF, l’armée ougandaise aurait mené des offensives contre d’autres groupes armés tels que CODECO, dans des zones connues pour leurs gisements d’or. Des affrontements entre militaires ougandais et miliciens ont également été signalés près de la RN27, un axe stratégique dans le commerce transfrontalier et l’acheminement des ressources. Ce dépassement de mandat alimente les soupçons d’agendas économiques dissimulés.
Un partenariat réajusté, mais fragile
Face aux préoccupations croissantes, une délégation gouvernementale congolaise s’est rendue en Ituri en juin dernier. À l’issue de cette mission, un mémorandum révisé a été signé à Kinshasa, stipulant que toute opération ougandaise doit désormais être strictement coordonnée avec les FARDC et conduite dans un cadre bilatéral clairement défini. Malgré cette tentative d’encadrement, la défiance persiste chez certains acteurs politiques et membres de la société civile, qui craignent une ingérence prolongée sous couvert de coopération sécuritaire.
Entre soulagement et méfiance dans les communautés locales
Dans les camps de déplacés de Drodro et Roe, la population reste divisée. Si certains y voient une présence protectrice capable de dissuader les attaques des groupes armés, d’autres redoutent une escalade des tensions, voire une militarisation durable du territoire perçue comme une forme d’occupation. Ces perceptions contrastées illustrent la fragilité du lien entre interventions extérieures et paix locale, dans un contexte où chaque mouvement militaire provoque un traumatismes du passé et des intérêts politico-miniers.
Une coopération sous tension, des enjeux bien au-delà du militaire
Le renforcement militaire de l’Ouganda en Ituri, bien qu’inscrit dans un cadre de coopération régionale, pose des questions fondamentales sur la souveraineté congolaise, l’efficacité des mécanismes conjoints de sécurité, et les appétits géoéconomiques autour des ressources naturelles.
Certains experts de la politique des grands-Lacs estiment que tant que la transparence et la coordination réelle entre partenaires ne seront pas garanties, cette présence étrangère continuera d’être perçue par une partie de la population comme une menace voilée, plutôt qu’un soutien durable à la paix.
Mutabesha Banywesize Sardou-Michel