Avec « Emprisoned God », la scène devient un espace de mémoire, de réappropriation et de résistance. Quatre danseurs originaires de Goma – Faraja Batumike, Bienco Hangi, Meschake Lusolo et le chorégraphe Lukah Katangila – y revisitent les croyances ancestrales africaines, bouleversées par la colonisation et l’imposition de dogmes religieux occidentaux. Après une résidence artistique d’un mois, la troupe s’est lancée dans une tournée remarquée en Flandre belge, entre janvier et mars 2025. Huit représentations, toutes jouées à guichets fermés, ont marqué les débuts européens de ce projet chorégraphique ambitieux.
La pièce explore les conséquences du colonialisme sur la spiritualité des peuples africains, notamment à travers le sort réservé aux objets sacrés : masques, statues, effigies confisqués et exhibés dans les musées d’Europe comme de simples curiosités. « Les dieux sont pris au piège », résume Lukah Katangila, qui voit dans ces œuvres enfermées le symbole d’un emprisonnement plus vaste mental, social, spirituel.
La danse comme langage des ancêtres
Lukah Katangila, chorégraphe autodidacte formé dans la rue puis sur les scènes internationales, considère la danse comme une mémoire corporelle. « J’ai commencé dans les rues de Goma, comme beaucoup. Petit à petit, j’ai compris que mes mouvements étaient ceux de mes ancêtres », confie-t-il. Devenu professionnel, formé aux quatre coins du monde et diplômé de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, il a développé un langage chorégraphique personnel, enraciné dans les traditions mais ouvert à l’universel.
Dans Emprisoned God, les pas des danseurs intègrent les gestuelles propres aux peuples Rega, Tembo, Shi ou Hunde, dans une fusion entre formes traditionnelles et expression contemporaine. Les corps deviennent les vecteurs d’une spiritualité en quête de réhabilitation. Sur scène, des croix chrétiennes croisent des versets bibliques, tandis que les projections visuelles et les masques créés par Precy Numbi révèlent la tension entre deux mondes : l’ancien et le colonisateur.
Un art de résistance
Pour Lukah, la danse est aussi un acte politique : « Quand on vient de contextes fragiles, créer devient un moyen de dire qu’on existe, qu’on a une culture, une histoire, une parole. »
En choisissant de travailler avec des danseurs de Goma, il affirme un lien fort avec sa terre natale et rend hommage à la vitalité artistique d’une ville souvent oubliée. La musique percussive, les costumes inspirés du mingaji en raphia, et l’énergie brute des interprètes composent une œuvre chargée de symboles. Le spectacle ne se contente pas de dénoncer : il reconstruit, célèbre, transcende.
Une tournée, une semence
À l’issue de cette première tournée, Lukah se dit ému par la réception du public : « Chaque représentation était unique. Sentir que le message passe, que ça touche les gens, c’est ce qu’on espérait. On a planté une graine. À nous maintenant de la faire pousser. »
Au final, «Emprisoned God» est plus qu’une pièce de danse : c’est une invitation à questionner notre rapport au sacré, à l’histoire, à la mémoire collective. Un geste artistique profondément enraciné et résolument tourné vers l’avenir.
Mutabesha Banywesize Sardou-Michel